http://sosconso.blog.lemonde.fr/2017/04/04/le-zenith-de-paris-condamne-pour-son-bruit-une-premiere/#more-19725
C’est une petite bombe dans le milieu du spectacle musical. Grâce à l’énergie d’un commissaire de police et à la détermination d’une procureure, le Zénith de Paris vient d’être condamné à une lourde amende pour les nuisances sonores qu’il cause depuis des années dans le 19e arrondissement de Paris.
A l’origine de cette action inédite, il y a aussi Magali Bérenger, une ancienne enseignante aujourd’hui âgée de 82 ans, qui a la malchance d’habiter à quelque 600 mètres, à vol d’oiseau, de la salle de spectacle située avenue Jean-Jaurès, dans le quartier de La Villette.
« La gêne a commencé en 2004, lorsque le gérant a cessé de contrôler les sonos : le son a explosé », affirme Mme Bérenger, qui a créé un collectif de riverains en 2005, puis une association. « Pendant les concerts, il est impossible de travailler, de dormir ou de regarder la télévision, car la musique couvre le son, et les fenêtres vibrent. » Et des concerts, il y en a 150 par an, environ, sans compter les réglages qui précèdent (les « balances »).
Résultat : « Nous vivons en fonction de la programmation du Zénith« , indique MmeBérenger : « Lorsqu’il y a un concert de métal ou de rock, nous n’invitons personne, car on ne s’entendrait pas. » Les performances du DJ David Guetta, notamment, sont vécues comme « un traumatisme ».
Le collectif a fait des pétitions, sans que le Zénith change quoi que ce soit. « Beaucoup de gens ont déménagé, assure Mme Bérenger. D’autres vivent sous tranquillisants. »
Depuis 2004, Mme Bérenger a fait faire d’innombrables constats à son domicile par le Bureau des actions contre les nuisances de la préfecture de police (BACN). « Les procès-verbaux montraient des niveaux d’émergence sonore très supérieurs aux valeurs admises. Mais ils ne servaient à rien : aucune poursuite n’était diligentée contre le Zénith », constate-t-elle, en évoquant une « institution intouchable ». Elle-même n’a pas engagé d’action : « D’une part je n’en avais pas les moyens, et d’autre part je ne suis pas procédurière. »
Malaise du commissaire
Les choses ont commencé à bouger en 2011, avec la nomination d’un nouveau commissaire en charge de l’arrondissement, Jacques Rigon, sensible non seulement aux questions de sécurité, mais aussi aux problématiques de tranquillité. « Il a accepté de nous recevoir et de nous écouter, alors que nous étions méprisés par tout le monde« , indique Mme Bérenger.
En septembre 2013, il décide de se rendre compte lui-même de la gêne occasionnée. Après avoir passé deux heures dans le salon de Mme Bérenger, il a un malaise. « Il semble que ce soit lié aux infra-basses, des sons de fréquence très grave, à peu près inaudibles, mais ressentis par le corps », explique cette dernière. Au tribunal, il témoignera qu’il s’est senti « oppressé », qu’il « vacillait« , la cage thoracique prise par les vibrations.
Il mobilise alors des enquêteurs pour faire une enquête de voisinage et découvre que tout le monde souffre. De jeunes parents font ainsi dormir leur bébé dans la baignoire, parce que la salle de bain est la seule pièce épargnée par les vibrations. Le commissaire décide d’ouvrir, place des Fêtes, une cellule qui recueillera les plaintes des riverains contre le Zénith. L’agent en reçoit plusieurs centaines. Il fait faire des constats par le BACN : tous révèlent des émergences anormales.
Le commissaire va ensuite chercher la représentante du ministère public du pôle environnement du tribunal de grande instance de Paris, et il lui fait visiter le voisinage du parc de la Villette pendant un concert. Sa religion est faite.
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Enquête
Ils poursuivent l’enquête en entendant les responsables du Zénith : Daniel Colling, président de la SAS Zénith Paris-La Villette, cofondateur du Printemps de Bourges; Jacques Martial, président de l’Établissement public du parc et de la grande halle de la Villette; Florence Berthout, directrice générale, aujourd’hui maire (LR) du 5e arrondissement de Paris.
Ils constatent qu’ils ont tous les outils pour réagir quand le bruit est excessif : sur le parc, des capteurs permettent de mesurer les émergences sonores. Il existe en outre une procédure d’appel au PC de sécurité, afin que les riverains gênés puissent demander qu’on baisse le volume. Mais tout cela ne sert à rien.
Le commissaire alerte ces responsables avec bienveillance, en leur conseillant de faire des travaux d’insonorisation, la structure du Zénith n’étant plus adaptée à l’évolution des goûts musicaux et notamment aux infra-basses. Mais à aucun moment ces derniers ne le prennent au sérieux.
Le ministère public décide donc de poursuivre Daniel Colling, président de la SAS Zénith Paris-La Villette, et la société elle-même. Il leur reproche de ne pas avoir présenté l’étude d’impact des nuisances sonores qui aurait dû être faite par une société spécialisée en acoustique, avant ouverture de la salle – et pour cause : elle n’a jamais existé.
Il leur reproche aussi d’avoir causé des émergences spectrales excessives, chez plusieurs riverains, dont Mme Bérenger, depuis 2013 – les années antérieures étant prescrites. Cette dernière se porte partie civile.
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Six heures d’audience
Le tribunal de police prévoit une audience le 18 novembre, mais M. Colling ne s’y présente pas. Il fait dire qu’il est « en voyage« , sans prendre la peine de s’excuser. La présidente renvoie l’affaire au 20 janvier, et l’audience dure six heures.
M. Colling explique que s’il y a du bruit à l’extérieur de la salle qu’il exploite, ce n’est pas de sa faute, mais de celle des producteurs, qui apportent leur propre sono. Il affirme que s’il leur imposait une limitation sonore, « ils ne viendraient plus au Zénith ». Il explique aussi qu’il n’est pas non plus responsable de la mauvaise isolation de sa salle, « le propriétaire, chargé de faire les travaux, étant l’Etat ».
Le ministère public observe pourtant que sa société est soumise à un cahier des charges dont un article précise : « Chaque salle devra impérativement respecter tous les décrets, lois et normes en vigueur relatifs à l’acoustique. » Sa société a également signé avec l’Etat un contrat d’affermage dont un article dit : « Le fermier reconnaît avoir été informé que les activités du Zénith ne peuvent en aucun cas être source de nuisances pour le voisinage et les équipements du site (…). Le fermier déclare expressément assumer toute responsabilité des éventuelles plaintes des riverains à l’encontre des nuisances provenant de ces activités. »
A l’audience, le commissaire Rigon témoigne que « si une salle de music-hall quelconque s’était rendue coupable de telles nuisances, elle aurait subi une fermeture administrative depuis longtemps ». Il insiste sur la nécessaire « égalité devant la loi »: « Il ne doit pas y avoir de puissants et de petits, la loi est pour tout le monde », explique-t-il.
Me Virginie Le Roy, avocate de Mme Bérenger, compare la lutte des riverains à « celle du pot de terre contre le pot de fer » – le ministère de la culture, sous la tutelle duquel se trouve le Zénith, qui « se soucie peu de la santé des habitants, dès lors que l’établissement dope l’économie du spectacle et qu’il verse un importante redevance à l’État ».
A la dernière minute, l’avocat de M. Colling brandit une lettre indiquant que l’Etat s’engagerait à faire les travaux d’insonorisation avant l’été. Personne ne le croit.
81 000 euros d’amende
Le tribunal, qui statue le 17 mars, juge que la société Zénith Paris-La Villette, « bien loin de ne pouvoir agir sur les producteurs, avait une loi à sa disposition sur l’émergence globale maximale que doit supporter un riverain d’une salle de concert diffusant de la musique amplifiée ». Il vise le code de la santé publique (articles R 1134-31, 1134-32 et R 1134-33 notamment).
Il juge qu’« il appartenait à la société de faire respecter au producteur la législation en vigueur, quitte à annuler certains concerts ». Car « la dimension économique n’a que peu de poids face à la réglementation en vigueur, dont le but est la préservation de la santé des riverains, lesquels ont droit au respect de leur vie privée ».
Il condamne la société à payer 67 500 euros d’amende contraventionnelle et M. Colling à en payer 13 500, ce qui fait un total de 81 000 euros, soit le maximum possible en termes de contraventions. Il condamne les deux à verser à MmeBérenger 31 500 euros de dommages et intérêts.
Ce jugement, « magnifiquement motivé, qui place la santé des riverains au-dessus de l’économie », satisfait Mme Bérenger et son avocate.
Hélas, au quotidien, rien n’a changé, la société ayant décidé de faire appel.
to edit.
C’est une petite bombe dans le milieu du spectacle musical. Grâce à l’énergie d’un commissaire de police et à la détermination d’une procureure, le Zénith de Paris vient d’être condamné à une lourde amende pour les nuisances sonores qu’il cause depuis des années dans le 19e arrondissement de Paris.
A l’origine de cette action inédite, il y a aussi Magali Bérenger, une ancienne enseignante aujourd’hui âgée de 82 ans, qui a la malchance d’habiter à quelque 600 mètres, à vol d’oiseau, de la salle de spectacle située avenue Jean-Jaurès, dans le quartier de La Villette.
« La gêne a commencé en 2004, lorsque le gérant a cessé de contrôler les sonos : le son a explosé », affirme Mme Bérenger, qui a créé un collectif de riverains en 2005, puis une association. « Pendant les concerts, il est impossible de travailler, de dormir ou de regarder la télévision, car la musique couvre le son, et les fenêtres vibrent. » Et des concerts, il y en a 150 par an, environ, sans compter les réglages qui précèdent (les « balances »).
Résultat : « Nous vivons en fonction de la programmation du Zénith« , indique MmeBérenger : « Lorsqu’il y a un concert de métal ou de rock, nous n’invitons personne, car on ne s’entendrait pas. » Les performances du DJ David Guetta, notamment, sont vécues comme « un traumatisme ».
Le collectif a fait des pétitions, sans que le Zénith change quoi que ce soit. « Beaucoup de gens ont déménagé, assure Mme Bérenger. D’autres vivent sous tranquillisants. »
Depuis 2004, Mme Bérenger a fait faire d’innombrables constats à son domicile par le Bureau des actions contre les nuisances de la préfecture de police (BACN). « Les procès-verbaux montraient des niveaux d’émergence sonore très supérieurs aux valeurs admises. Mais ils ne servaient à rien : aucune poursuite n’était diligentée contre le Zénith », constate-t-elle, en évoquant une « institution intouchable ». Elle-même n’a pas engagé d’action : « D’une part je n’en avais pas les moyens, et d’autre part je ne suis pas procédurière. »
Malaise du commissaire
Les choses ont commencé à bouger en 2011, avec la nomination d’un nouveau commissaire en charge de l’arrondissement, Jacques Rigon, sensible non seulement aux questions de sécurité, mais aussi aux problématiques de tranquillité. « Il a accepté de nous recevoir et de nous écouter, alors que nous étions méprisés par tout le monde« , indique Mme Bérenger.
En septembre 2013, il décide de se rendre compte lui-même de la gêne occasionnée. Après avoir passé deux heures dans le salon de Mme Bérenger, il a un malaise. « Il semble que ce soit lié aux infra-basses, des sons de fréquence très grave, à peu près inaudibles, mais ressentis par le corps », explique cette dernière. Au tribunal, il témoignera qu’il s’est senti « oppressé », qu’il « vacillait« , la cage thoracique prise par les vibrations.
Il mobilise alors des enquêteurs pour faire une enquête de voisinage et découvre que tout le monde souffre. De jeunes parents font ainsi dormir leur bébé dans la baignoire, parce que la salle de bain est la seule pièce épargnée par les vibrations. Le commissaire décide d’ouvrir, place des Fêtes, une cellule qui recueillera les plaintes des riverains contre le Zénith. L’agent en reçoit plusieurs centaines. Il fait faire des constats par le BACN : tous révèlent des émergences anormales.
Le commissaire va ensuite chercher la représentante du ministère public du pôle environnement du tribunal de grande instance de Paris, et il lui fait visiter le voisinage du parc de la Villette pendant un concert. Sa religion est faite.
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Enquête
Ils poursuivent l’enquête en entendant les responsables du Zénith : Daniel Colling, président de la SAS Zénith Paris-La Villette, cofondateur du Printemps de Bourges; Jacques Martial, président de l’Établissement public du parc et de la grande halle de la Villette; Florence Berthout, directrice générale, aujourd’hui maire (LR) du 5e arrondissement de Paris.
Ils constatent qu’ils ont tous les outils pour réagir quand le bruit est excessif : sur le parc, des capteurs permettent de mesurer les émergences sonores. Il existe en outre une procédure d’appel au PC de sécurité, afin que les riverains gênés puissent demander qu’on baisse le volume. Mais tout cela ne sert à rien.
Le commissaire alerte ces responsables avec bienveillance, en leur conseillant de faire des travaux d’insonorisation, la structure du Zénith n’étant plus adaptée à l’évolution des goûts musicaux et notamment aux infra-basses. Mais à aucun moment ces derniers ne le prennent au sérieux.
Le ministère public décide donc de poursuivre Daniel Colling, président de la SAS Zénith Paris-La Villette, et la société elle-même. Il leur reproche de ne pas avoir présenté l’étude d’impact des nuisances sonores qui aurait dû être faite par une société spécialisée en acoustique, avant ouverture de la salle – et pour cause : elle n’a jamais existé.
Il leur reproche aussi d’avoir causé des émergences spectrales excessives, chez plusieurs riverains, dont Mme Bérenger, depuis 2013 – les années antérieures étant prescrites. Cette dernière se porte partie civile.
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Six heures d’audience
Le tribunal de police prévoit une audience le 18 novembre, mais M. Colling ne s’y présente pas. Il fait dire qu’il est « en voyage« , sans prendre la peine de s’excuser. La présidente renvoie l’affaire au 20 janvier, et l’audience dure six heures.
M. Colling explique que s’il y a du bruit à l’extérieur de la salle qu’il exploite, ce n’est pas de sa faute, mais de celle des producteurs, qui apportent leur propre sono. Il affirme que s’il leur imposait une limitation sonore, « ils ne viendraient plus au Zénith ». Il explique aussi qu’il n’est pas non plus responsable de la mauvaise isolation de sa salle, « le propriétaire, chargé de faire les travaux, étant l’Etat ».
Le ministère public observe pourtant que sa société est soumise à un cahier des charges dont un article précise : « Chaque salle devra impérativement respecter tous les décrets, lois et normes en vigueur relatifs à l’acoustique. » Sa société a également signé avec l’Etat un contrat d’affermage dont un article dit : « Le fermier reconnaît avoir été informé que les activités du Zénith ne peuvent en aucun cas être source de nuisances pour le voisinage et les équipements du site (…). Le fermier déclare expressément assumer toute responsabilité des éventuelles plaintes des riverains à l’encontre des nuisances provenant de ces activités. »
A l’audience, le commissaire Rigon témoigne que « si une salle de music-hall quelconque s’était rendue coupable de telles nuisances, elle aurait subi une fermeture administrative depuis longtemps ». Il insiste sur la nécessaire « égalité devant la loi »: « Il ne doit pas y avoir de puissants et de petits, la loi est pour tout le monde », explique-t-il.
Me Virginie Le Roy, avocate de Mme Bérenger, compare la lutte des riverains à « celle du pot de terre contre le pot de fer » – le ministère de la culture, sous la tutelle duquel se trouve le Zénith, qui « se soucie peu de la santé des habitants, dès lors que l’établissement dope l’économie du spectacle et qu’il verse un importante redevance à l’État ».
A la dernière minute, l’avocat de M. Colling brandit une lettre indiquant que l’Etat s’engagerait à faire les travaux d’insonorisation avant l’été. Personne ne le croit.
81 000 euros d’amende
Le tribunal, qui statue le 17 mars, juge que la société Zénith Paris-La Villette, « bien loin de ne pouvoir agir sur les producteurs, avait une loi à sa disposition sur l’émergence globale maximale que doit supporter un riverain d’une salle de concert diffusant de la musique amplifiée ». Il vise le code de la santé publique (articles R 1134-31, 1134-32 et R 1134-33 notamment).
Il juge qu’« il appartenait à la société de faire respecter au producteur la législation en vigueur, quitte à annuler certains concerts ». Car « la dimension économique n’a que peu de poids face à la réglementation en vigueur, dont le but est la préservation de la santé des riverains, lesquels ont droit au respect de leur vie privée ».
Il condamne la société à payer 67 500 euros d’amende contraventionnelle et M. Colling à en payer 13 500, ce qui fait un total de 81 000 euros, soit le maximum possible en termes de contraventions. Il condamne les deux à verser à MmeBérenger 31 500 euros de dommages et intérêts.
Ce jugement, « magnifiquement motivé, qui place la santé des riverains au-dessus de l’économie », satisfait Mme Bérenger et son avocate.
Hélas, au quotidien, rien n’a changé, la société ayant décidé de faire appel.
to edit.